Photographie de Voyage au XIXème



ÉVASION ET IMAGERIE BOURGEOISE

Le XIXème renouvelle le goût du XVIIIème pour les voyages à l'étranger, avec la particularité de concerner la bourgeoisie autant que l'aristocratie. Cette nouvelle société bourgeoise qui a besoin d'affirmer sa position de classe dominante et son statut social s'invente une image, la photographie, et une évasion, les voyages.

Ceci est en rapport avec l'esprit des encyclopédistes des Lumières (une volonté de compréhension du monde, actuel et passé) et l'influence des courants artistiques d'alors, romantisme et néoclassicisme principalement. Vont être valorisées une approche iconique des paysages inconnus ou grandioses et l'exploration des vestiges des civilisations antiques.



UNE ARCHÉOLOGIE VISUELLE

La photographie, grâce à sa relative rapidité d'opération et son aspect naturaliste permet de créer un musée du monde ; pour beaucoup, le quotidien et le pittoresque sont des sujets de prédilection. On parle même, avec la création en 1841 de la Société Ethnologique de Paris, de réaliser un « musée photographique » des races humaines. Ainsi, une certaine vision raciste du monde se ressent-elle dans les travaux ethnographiques de l'époque, ces images font partie des premières photographies de voyage (elles sont le fait d'amateurs fortunés).

Lors de son discours annonçant l'invention de la photographie, en 1839, Arago souligne l'intérêt que devra lui porter l'archéologie. Effectivement, la daguerréotypie (procédé de Niépce et Daguerre donnant une image unique sur plaque métallique argentée) est utilisée sur des chantiers de fouilles dès 1840. Le procédé est très maniable et le développement de la calotypie (procédé concurrent mis au point par Talbot, produisant un négatif reproductible) est gêné à cause d'une protection par brevets. Mais à partir de 1851, le procédé au collodion humide (plaque de verre sensibilisée au moment de la prise de vue, produisant un négatif) va se généraliser.

Un des points d'orgue de la photographie de voyage naissante fait suite à la campagne d'Egypte de Champollion (en 1829). En 1849-1851, le photographe Maxime Du Camp, accompagné de Gustave Flaubert, refait le même trajet le long du Nil et fixe (sur calotype) la totalité des monuments. Le temps de pose est alors fort long, les sites sont toujours déserts, permettant une contemplation onirique des images.

En ce qui concerne les problèmes logistiques inhérent à la pratique photographique d'alors, Maxime Du Camp souligne qu'«apprendre la photographie, c'est peu de choses, mais transporter l'outillage à dos de mulet, à dos de chameau, à dos d'homme, c'est un problème difficile». On rappelle que l'appareil peut peser une dizaine de kg (l'agrandissement n'étant pas pratiqué, les chambres sont de format 30x40 ou 50x60), certains opérateurs partent en expédition avec une tonne de matériel...



Spkinx - 9Ko - Photo anonyme (1870) - Collection Jean-Paul Gandolfo


UN MUSÉE D'IMAGES

Parallèlement à l'emploi de la photographie en archéologie, l'idée de muséification du monde perdure, c'est ainsi que Francis Wey (membre du comité directeur de la Société Héliographique, créée en 1851) propose les itinéraires de différents «voyages héliographiques». Il souhaite réaliser un «musée pittoresque et archéologique de la France». Cela débouche sur la Mission Héliographique menée par les photographes Bayard, Le Gray, Mestral, Baldus, Le Secq. Malheureusement, les clichés ne sont pas utilisés par la suite, Francis Wey écrit que «le public est privé de ces estampes que chacun se disputerait».

En effet, il y a un réel public pour ces images de voyages proches ou lointains. Des ouvrages contenant des tirages (réalisés par les photographes eux-même ou bien de façon industrielle par une imprimerie photographique, comme celle de Blanquart-Evrard) viennent concurrencer les ouvrages savants (qui étaient jusqu'alors illustrés par des planches gravées).

Les images seules connaissent un succès certain, elles sont diffusées chez l'imprimeur, chez un éditeur, chez un marchand d'estampes ou sous la forme de cartes postales (et vendues dans le même genre d'endroit où l'on en trouve de nos jours : boutiques, hôtels, gares, sites touristiques). A ce sujet, Ado Kyrou (dans son livre l'Age d'or de la carte postale) écrit : «envoyer une carte postale qui représente la vue d'un paysage où l'on se trouve, est une affirmation de ses propres possibilités de pouvoir voyager, donc un symbole de son statut social». La diffusion est aussi assurée par des périodiques tels que le Monde Illustré, le Tour du Monde, qui contiennent nombre de reproductions sous forme de gravures sur bois.

En fait, il faut attendre la mise au point de la similigravure dans les années 1890 pour permettre la production d'images inaltérables (après une certaine standardisation des tirages à l'albumine en 1875, puis au gélatino-bromure en 1890). L'industrialisation des techniques permet alors une consommation vraiment massive.



INDUSTRIALISATION ET DÉCOUVERTE DU MONDE

Au fur et à mesure du développement de l'industrie, on conçoit la nécessité de réaliser une topographie du monde afin d'en exploiter les ressources, ce qui va se concrétiser sous la forme de commandes de la part de gouvernements, d'entreprises ou d'aristocrates. Les photographes n'en bénéficiant pas devront tâcher de satisfaire les goûts du public et de s'imposer sur ce nouveau marché de l'image de voyage.

Le photographe est un des acteurs essentiels des célébrations des nouvelles constructions de voies ferrées, moyen moderne de voyager. Ainsi, en 1855, Baldus photographie l'insertion de l'architecture métallique dans le paysage lors du voyage de le reine Victoria le long de la ligne Boulogne-Paris, sans oublier de réaliser quelques prises de vue de la nature épargnée par la machine. Il recommencera avec la ligne Paris-Lyon-Méditerranée en 1859.

De la même façon, après la Guerre de Sécession, la conquête du Far West se concrétise par la construction du chemin de fer transcontinental. Cette conquête est l'occasion de photographier des paysages inconnus. En 1861, Carleton F. Watkins parcourt la vallée Yosemite et tâche de traduire le sentiment romantique d'une nature grandiose et vierge.

Paradoxalement, la photographie de paysages destinée aux touristes a connu un essor plus précoce en Amérique du Sud. On peut citer le cas de Désiré Charnay, explorateur français partant à la recherche des anciennes cités mayas et soutenu par le Ministère de l'Instruction Publique ; il a réalisé des prises de vues de 1857 à 1860. Jusque dans les années 1880, il voyage à Madagascar, à Java, en Australie...

En ce qui concerne le reste du monde, il faut souligner que la nationalité des photographes en place est bien sûr fortement liée aux empires coloniaux qui s'établissent. Ainsi, l'Asie et les Indes sont surtout photographiées par des Anglais. On peut citer cependant le cas du Japon qui, résistant à tout impérialisme extérieur, empêche que la photographie soit introduite avant 1854. Felice Beato, en s'inspirant des estampes sur bois, est un des plus remarquables photographes du Japon avec en 1868 (l'empereur Mutsuhito soutient alors l'ouverture et la modernisation de son pays), deux albums de 100 tirages 21x29cm : Photographic Views of Japan et Native Types of Japan. Des images bien reçues par le public local et étranger. Mais, au cours des années, cette imagerie japonaise reste fortement passéiste.

Le marché de la photographie de voyage grandissant, les photographes doivent se spécialiser. Après les photographes explorateurs, tel Maxime Du Camp - qui a produit Egypte, Nubie, Palestine, Syrie et dessins photographiques - tel Gabriel de Rumine - noble russe qui a photographié Nice, l'Italie, la Grèce, la Palestine - on trouve des photographes qui se concentrent sur une région seulement. Par là même, la pratique se banalise.



UNE TRACE SYMBOLIQUE

On comprend donc les différents rôles de la photographie de voyage au XIXème :




Bibliographie :